Aurora Orfeo

Physique

Au beau milieu d'une prairie, à l'orée d'une forêt, sous le soleil couchant de Toscane, elle venait de poser sa toile. Agiles et fins, ses longs doigts s'agitaient, emplissant de traits et couleurs une toile encore blanche jusqu'alors.

Mais, le vent se leva, chahutant sa chevelure brune. Nulles boucles, ils étaient raides comme des baguettes, au grand désespoir de leur propriétaire. Un léger soupir s'échappa de ses lèvres bien dessinées, et elle ramena ses longues mèches en un chignon négligé, pour ne plus les avoir dans les yeux. Elle tourna la tête, révélant un visage plutôt harmonieux, avec des yeux noisettes, et des petites fossettes. Elle avait beau ne pas se trouver spécialement jolie, et banale, elle avait un certain charme. Son sourire, ou alors le charme italien, peut-être ? De l'Italie, d'ailleurs, sa peau avait pris la couleur hâlée du soleil.

Sa toile n'avançait plus. Joueur, le vent venait d'emporter un peu plus loin le chiffon dont elle se servait pour essuyer ses pinceaux. Tout en riant, elle se leva, pour le rattraper au vol. Maintenant qu'elle était debout, l'on pouvait se rendre compte qu'elle n'était pas spécialement grande, un petit mètre soixante-dix, pour soixante kilos environ. Elle n'était pas une grande sportive à vrai dire, même si elle essayait, quand elle y pensait, d'entretenir un peu son corps. C'est à dire, tous les trente-six du mois, et encore !

Un rire fit soudain écho à celui qu'elle avait laissé échapper quelques secondes plus tôt, et un grand sourire illumina alors son visage.

Caractère

Car lumineuse, elle l'était, assurément. Ses parents disaient d'elle qu'elle était leur soleil, qu'elle illuminait chaque endroit où elle entrait. Si son éclat avait terni, tant elle se sentait à l'étroit dans son village natal, lorsqu'elle l'avait quitté, elle avait goûté et croqué la liberté à pleines dents. Avec une certaine naïveté et candeur parfois, puisqu'elle affrontait les épreuves de la vie avec un optimisme déraisonnable et toujours le sourire.

A vrai dire, Aurora avait une légère tendance à foncer, sans se soucier des conséquences. Et n'écoutait pas ou peu les conseils de ses proches ou amis. Un peu trop rêveuse sans doute aussi, et étourdie. Si elle devait un jour remettre la main sur tous les objets qu'elle avait égaré au fil des ans, elle se retrouverait en face d'une montagne !

Concernant ses relations avec autrui, son caractère ne facilitait rien. Enfant, et adolescente, malgré son sourire et sa bonne volonté, elle se mettait elle même à l'écart des autres. Elle n'en avait pas souffert, puisque cela lui permettait d'assouvir ses passions artistiques. Si on ne la croisait pas en train de peindre sur la plage d'Ardenza, elle lisait. Puis, durant ses études supérieures, elle était parvenue à se lier avec des jeunes gens de son âge. Presque un exploit, mais là aussi, sa bonne humeur et son sourire lui avaient donné un coup de pouce bienvenu.

Mais fatalement, elle s'était éloignée d'eux, et se contentait désormais de leur envoyer des messages, de temps en temps. Ses parents avaient le droit au même traitement d'ailleurs. Elle n'avait guère plus de contacts avec sa famille depuis des lustres.

Histoire

Ardenza. Plus sa voiture bleue, une fiat quelque peu usée par les ans et une conductrice peu attentionnée,  avalait les kilomètres la séparant du village, plus elle se sentait nerveuse. Assez pour perdre son éternel sourire.

Cela faisait presque sept ans qu'elle avait quitté cet endroit. Elle avait du batailler ferme avec ses parents, pour qu'ils acceptent qu'elle aille étudier à Florence. Ils avaient fini par céder à leur petite dernière. Officiellement, elle devait aller à la fac des lettres et philosophie. Mais mademoiselle avait eu une toute autre idée en tête, dès le départ. Et elle avait vite délaissé les sciences humaines, pour se tourner vers l'académie des beaux arts de cette même ville.

Étudier là bas, ça avait été comme un rêve pour elle. Un rêve plutôt coûteux, entre tout le matériel, peintures, toiles, chevalets et bien d'autres choses, mais aussi le logement, et la nourriture (et n'oublions pas les soirées nombreuses passées à s'amuser avec ses amis), ce que lui envoyaient ses parents chaque mois ne lui avait vite plus suffit.

Elle n'en parla pas, ni à ses parents, ni à ses frères et sœurs (ils étaient quatre), et se débrouilla toute seule. Elle réussit à occuper quelques emplois, le plus souvent précaires. L'un de ces emplois resta mémorable : elle devint, pour quelques cours, l'un des modèles de l'académie. Poser nue devant ces étudiants, dont elle en connaissait quelques uns, ne l'avait jamais dérangé.

Mais c'est ainsi qu'elle sut toucher le cœur de ce professeur. Que la vision de cette jeune femme souriante et ingénue n'avait de toute façon pas laissé indifférent. A vrai dire, entre eux, ça avait été un coup de foudre presque immédiat. Et si ses ami(e)s proches, en comprenant ce qui se tramait entre ces deux là, l'avaient mis en garde, elle ne les avait pas écouté. Si eux pensaient que cet homme se servait d'elle, de sa naïveté, de sa jeunesse, il n'y eut jamais rien de tel entre eux. A part un amour fou.

Et ils avaient vécu des mois de rêve, malgré les années qui les séparaient, mais surtout, malgré le fait qu'il soit marié. Là encore, elle ne se confia surtout pas à ses parents, fervents catholiques, ils auraient fait un scandale. Elle prétexta des études via érasmus, à l'autre bout du monde, pour ne plus les voir.

Elle avait vingt ans, quand elle mit un terme à cette relation. Parce qu'elle avait un jour croisé la femme de son amant, et que les larmes de cette dernière l'avait rappelé à la raison. Du jour au lendemain, elle disparut de la vie de Raffaele, non sans lui avoir laissé une lettre.

Ce fut sans doute l'une des seules fois dans sa courte vie, qu'elle pleura. Elle quitta Florence, et voyagea à travers l'Europe. Sauf qu'elle n'était plus seule désormais.

Cleo dormait sur la banquette arrière. Si Aurora l'avait privé de père, elle ne pouvait pas la priver non plus de grands parents. Pourtant, les retrouvailles seraient sans doutes houleuses.